Introduction : à savourer...

Publié le par thomas dellart

Lorsque je suis arrivé à Bordeaux, je ne connaissais personne. Comment se créer rapidement un nouveau réseau de connaissances, créer ce fameux lien social longuement décrit par les sociologues? De prime abord, je ne suis pas particulièrement doué pour ce genre d’exercice. Parler de la pluie et du beau temps, comme cela, de façon directe, à cette inconnue aux longues jambes bronzées, en train de feuilleter les dernières nouveautés au rayon Ressources Humaines de  la librairie Georges - oui, je vous l’accorde, ce haut lieu culturel est fort bien fréquenté. Mais non, décidément, ce n’est pas mon truc. Sur les conseils d’une amie, je me suis donc inscrit sur un site de rencontre par internet: netiic. Tout bien regardé, le virtuel présente de gros avantages: il permet d’entrer en contact, confortablement installé chez soi, un verre de Loupiac à la main, tout en écoutant Hélène Grimaud jouer une berceuse de Chopin. Il n’est pas nécessaire de se raser, de réfléchir à comment s’habiller, de passer en revue ses petits défauts devant le miroir et tenter de les masquer, d’essayer de jouer un rôle… [...]

Derrière ce torrent d’annonces, de bouteilles jetées dans cette mer virtuelle, transparaît un sentiment de doute. Doute sur sa faculté à nouer des relations authentiques, doute sur sa capacité à être écoutée, reconnue, respectée, et finalement séduite. Et puis du ressentiment. Derrière chaque pseudo, se cachent un destin, une histoire, une trajectoire singulière. A la lecture de certaines fiches, on peut imaginer une ou plusieurs expériences qui visiblement ont laissé des traces. Et ce passé est encore bien présent.
Enfin, on trouve aussi beaucoup d’espoir. Après l’appréhension liée aux premiers échanges, l’idée d’afficher ouvertement sa recherche de rencontres devient peu à peu acceptable. Le fait d’être là représente déjà un formidable espoir: nous sommes tous encastrés dans des rouages, une mécanique en mouvement qui nous stabilise mais aussi nous contraint. Etre sur ce site reflète l’espoir de quelque chose de nouveau, de laisser une petite place à l’incertitude. Ressentir la montée d’adrénaline que l’on peut connaître en montant dans le TGV, et en essayant d’imaginer l’inconnue à côté de qui l’on aimerait être placé. Etre ici, c’est garder espoir. D’une rencontre, et peut-être, qui sait, d’une relation. Comment définir cette relation entre deux êtres qu’est un couple? Voilà une grande question. Une union? Une fusion? Un partenariat? Le couple est sans doute la plus commune des organisations humaines, la plus ambiguë aussi. Simple en apparence, mais déjà si complexe. Vient un jour où l’on finit par comprendre qu’un couple, comme toute organisation, se construit à partir des frictions. Un couple est une corde sous tension. Accepter cette tension est finalement ce qui l’enrichit et lui permet d’évoluer.

Sans l’avouer, netiic remplit une nouvelle fonction sociale: étape de transition entre deux états accouplés, la facilité des rencontres permet de réapprendre à détecter les signes. En les multipliant, les échanges développent nos tentacules invisibles, appellent à de nouveaux échanges. Mais derrière cette quête, se cachent des personnages aux facettes bien différentes.

Tout d’abord, il y a la femme qui a une idée bien arrêtée de ce qu’elle cherche. Avec la froideur de l’ingénieur, elle s’est mise en tête une véritable check list. Et si l’homme qui se présente a le malheur de ne pas correspondre à tous ses critères, il est éliminé irrémédiablement. Cette population peut être facilement détectée par l’annonce. Celle-ci est rédigée en négatif; elle précise alors les critères rédhibitoires (l’âge, la taille, le nombre d’enfants, les études, le salaire, …). Ce type de femme, trop préoccupée d’elle-même, croit encore au prince charmant. Elle est souvent jeune, c’est pourquoi j’appellerai ce segment le marché duneuf. Mais le critère de l’âge n’est pas vraiment pertinent. Même avancée dans la vie, ayant connu des expériences multiples, cette technocrate de l’amour continue à croire en l’illusion d’une moitié qui l’attendrait quelque part.

Puis il y a la femme déjà en couple, un peu coquette, qui recherche les aventures. Peut-être pour se rassurer sur son pouvoir de séduction, longtemps mis en veille, ou bien pour réveiller le désir qui sommeille en elle. Soucieuse de son statut, elle ne souhaite pas remettre en cause sa situation actuelle, plutôt confortable. Cet artisan de l’amour, ne voulant pas rompre avec ses habitudes, se repère à la discrétion de sa fiche. Pas de photo, annonce très sobre, pas d’indication de taille ni de poids, mais seulement la couleur des cheveux et un «agréable à regarder» pour -tout de même- aguicher les hommes. Ce segment correspond bien entendu au marché de la rencontre de courte durée.

Enfin, reste la femme qui a déjà connu l’expérience de la vie de couple, la phase idyllique, puis l’enfer de la relation fusionnelle. Les premières expériences ont permis de faire disparaître toute la naïveté des débuts. Maintenant, place à la découverte. Elle a bien mesuré le prix de sa liberté, constaté toute l’imperfection des hommes, et a renoncé à vouloir les changer. Elle est établie socialement, mais pas encore blasée, familière de l’homme, mais toujours curieuse. Véritable esthète, cette âme d’artiste est en quête d’une relation authentique, faite d’humour et de bons moments partagés, bref d’échange sans domination. Initiée sexuellement, elle met la pratique amoureuse à sa juste place, c’est-à-dire à la première. Etant moins sensible aux apparences (souvent trompeuses) la seconde main ne tourne pas autour du pot. Comme le marché de l’art qui s’apprécie avec le temps,le marché de la seconde main est un marché de connaisseurs où se cachent bien des trésors…

Chacun cherche -espère- le coup de baguette magique qui provoquera le flash, l’émoi d’un instant, la rencontre semblable à deux atomes de charge opposée qui entrent en collision puis créent une liaison électrique, prélude à un nouvel équilibre. Les échanges par messagerie participent à cette illusion d’un monde fluide, totalement flexible, modelé par des critères rationnels. Les possibilités de chat sont multiples et simultanées, à l’image de l’univers de Borges. Dans le monde réel, chaque fois que diverses possibilités se présentent, on en adopte une et élimine les autres; dans le monde virtuel de netiic, on a l’impression de pouvoir les adopter toutes simultanément. On crée ainsi divers avenirs, diverses histoires qui se développent et bifurquent.
Je suis convaincu que si Borges était encore parmi nous, il considérerait netiic comme la matérialisation contemporaine d’un jardin aux sentiers qui bifurquent.

Malgré tout, le chat possède ses limites. Comment ressentir la personne sans la toucher, la regarder, la sentir, la voir évoluer? En faisant la part belle à l’écrit, l’intellect, le virtuel coupe des sensations, de toute la dimension humide, chaude, cachée de la personnalité. Que sont devenus les signes classiques de la séduction? Sans l’aide des intonations de la voix, du regard aux pupilles dilatées, du vocabulaire des petits gestes, de l’influence clandestine des odeurs, de la réaction du grain de la peau au toucher, à quels signes se fier?
Vivre ce moment mystérieux, moment de bascule où l’on sent que quelque chose est possible. Moment de vérité, moment intime, où le contact est direct, où les âmes se touchent. Moment de création aussi; où l’on sent que quelque chose est en train de naître. Moment de la rencontre dans le monde réel.
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L
Quand ont sens que quelque chose est possible, et que les âmes peuvent se reconnaître, alors, je pense qu'il faut aller à la rencontre de l'autre! je n'ai pas le savoir que tu as dans l'écriture, mais ce que je fais est, comme ma peinture, de l'imagination, qui pour moi, est de la création, et la création n'est pas visible pour certain, mais elle s'avère concrète! merci d'être passer me voir! bonne journée lucye
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